Réflexions sur les recherches historiques concernant Six-Fours
Réflexions sur les recherches historiques concernant Six-Fours
S'il fallait fixer une finalité à l'Histoire de Six-Fours depuis les origines, ce serait, grâce à la recherche, de percevoir, outre les évènements, l'occupation de l'espace, les structures politiques, sociales, économiques, mais aussi mentales et religieuses de la population, et de suivre leur évolution dans le temps. Entreprise bien délicate, car les sources documentaires qui fournissent la matière même de cette recherche sont théoriquement infinies, tout comme le nombre d'interprétations possibles. Posséder la totalité de ces sources relève, bien entendu, d'une situation idéale que nul historien ne connaîtra jamais, mais une Histoire sans sources étant tout aussi irréalisable, le chercheur navigue sans cesse entre le zéro et l'infini ; entre l'impossibilité même de l'hypothèse et des myriades de solutions. En ce qui concerne nos recherches sur la communauté de Six-Fours, pour certaines périodes comme le Moyen Age, nous sommes souvent plus proches de la première situation que de la seconde, car nous n'avons pu retrouver qu'une infime partie du matériel documentaire nécessaire à toute construction historique, pénurie incontournable qui doit modeler toute notre méthodologie.
SOURCES DOCUMENTAIRES ET METHODOLOGIE
Les habitants de Six-Fours vous racontent pêle-mêle l'Histoire des seigneurs de Six-Fours, la tutelle de l'abbaye St Victor de Marseille, les incursions barbaresques, la construction de la Collégiale, les vestiges antiques du Brusc ou les péripéties de la séparation avec la Seyne .. Et votre serviteur de se dire "in petto": « Voilà bien de fils directeurs pour commencer une recherche ! ». Hélas ! Au fur et à mesure de l'enquête, ces fils révèlent leur fragilité. Bien des certitudes s'écroulent et des faits "absolument certains" se déforment ou se diluent dans des clichés sans grande consistance historique. (la bataille de Malogineste, par exemple). Correction inévitable, certes, inhérente aux avancées de la connaissance, mais qui prend ici une importance particulière : jusqu'à une date très récente (2007), il n'existait pas, en effet, de recherches spécifiques bien solides sur Six-Fours.
On trouvait des articles de qualité concernant notre région, mais ces lumières ponctuelles ne pouvaient pallier l'absence de travaux d'ensemble menés avec la rigueur historique qui s'impose. Les quelques monographies concernant Six-Fours provenaient trop souvent d'écrits qui se contentent de s'appuyer sur des sources anciennes - sources, il faut bien le dire, parfois suspectes - ou sur la tradition orale sans l'approche critique nécessaire.
L'obligation de travailler dans un premier temps par référence à la tradition orale n'est pas pour autant négative. Cette recherche fait elle-même naître des pistes inédites, découvre des aspects insoupçonnés de prime abord, suscite de nouvelles interrogations. Mais cette approche montre vite ses limites pour les périodes où cette tradition n'existe pas. Le dépouillement des archives et l'archéologie prennent alors le relais.
Tradition orale, documents écrits, documents archéologiques : les trois piliers de la recherche se mettent en place. Ils se complètent, se suppléent ou se confortent. Forment-ils, pour autant, les sommets d'un triangle magique où la vérité se trouverait enclose ? Hélas, non ! Ces sommets, n'étant pas immuables, se dérobent parfois, s'amenuisent ou disparaissent. Certes, d'autres approches comme l'analogie, l'extrapolation et la méthode régressive viennent à notre secours. Si nous ignorons, par exemple, le comportement des paysans de Six-Fours au Moyen Age, peut-on leur supposer des attitudes voisines d'autres communautés varoises mieux connues ? L'analogie n'est pas sans danger : elle nous livre les éventuels points communs, mais ignore les spécificités.
Nous pourrions adresser le même reproche à l'extrapolation ou "généralisation dans l'espace et dans le temps d'observations ponctuelles". Enfin, l'approche régressive remontant le passé à partir d'un présent, suppose une régularité dans l'évolution, ou une perduration, qui ne sont pas démontrées. Par essence, ces méthodes induisent l'uniformité ; elles ignorent ou réduisent la diversité. Malgré ces restrictions, le recours à ces trois approches est inévitable. Pour de nombreux siècles, en effet, nous ne possédons ni textes, ni vestiges matériels qui puissent nous éclairer sur l'Histoire de Six-Fours en ces temps-là ; pour d'autres, la documentation est si légère, si ponctuelle, qu'on hésite à l'extrapoler. Dans ces circonstances, s'il nous faut bien "boucher les trous" (Paul Veyne) considérons les résultats comme des hypothèses de travail et non pas comme des conclusions.
Pendant l'Antiquité, par exemple, le territoire six-foumais connaît "probablement" la même mise en valeur que le proche arrière pays varois, notamment de la région d'Ollioules au secteur Le Bausset-la Cadière. Nous détectons, en effet, sur les cartes anciennes et topographiques, les traces de diverses cadastrations caractéristiques de l'occupation des sols à cette époque. Pourtant, pour le territoire de six-Fours, nous ne retrouvons que peu de vestiges de ce monde antique : quelques mots dans les écrits d'Appolodore (Tauroentum, sujet de controverse), des débris épars de céramiques, des restes d'installation au Brusc, au cap Mouret, des traditions orales invérifiables, mais aucunes ruines de "villa", par exemple. La déduction analogique ne trouve pas pour l'instant de réponse archéologique suffisante.
Dès la disparition de l'Empire romain, la nuit documentaire s'abat sur la région. Que s'est-il passé pendant tout le Moyen Age ? Les quelques écrits disponibles sont extrêmement fragmentaires, discontinus, voire falsifiés. Pour combler ces vides, l'extrapolation et l'analogie s'imposent-elle ? Elles conduisent parfois à des affirmations trop gratuites pour être admises sans la plus grande réserve (la bataille de Malogineste, en 950). Des lueurs d'espoir cependant pour la recherche : si l'écrit manque, les premiers vestiges matériels surgissent, comme l'église romane de la Collégiale Saint-Pierre ou la chapelle de Pépiole.
UNILATERALITE ET DISPERSION DES SOURCES ECRITES
Dès le début du XVIe siècle apparaissent les textes : procès, ventes, héritages, recensements; des mémoires, des enquêtes où l'économie rurale et l'occupation des sols se dessinent. Mais tous ces documents sont dispersés dans le temps et dans l'espace. Sauf au XVIIIe siècle dans quelques secteurs bien précis, nous ne possédons jamais d'inventaires suffisants. Plus grave encore : la discontinuité documentaire ne nous permet pas de suivre sur une durée importante l'évolution des structures, d'où la tentation de combler les vides entre deux périodes mieux connues par l'élaboration de processus réguliers qui gomment les écarts et les ruptures.
Au XVIIIe siècle, la documentation écrite et matérielle s'étoffe. Le village et ses hameaux, leurs réseaux de communications, apparaissent de plus en plus clairement. Les contours de l'économie s'affirment. Prenons garde, toutefois, à une généralisation outrancière, car la provenance des sources disponibles revêt une particulière importance. Celles dont nous disposons pour Six-Fours sont souvent fragmentaires et dispersées. Au hasard de sondages effectués dans des dossiers d'archives aux titres bien généraux, nous découvrons parfois des documents intéressant notre région, et ce n'est pas sans une certaine inquiétude que nous pensons aux liasses non dépouillées des archives départementales de Draguignan, des Bouches du Rhône, des archives du Parlement d'Aix-en-Provence, ou même des Archives Nationales !
A cette dispersion s'ajoutent les habituelles difficultés dues à l'unilatéralité des sources. La masse documentaire disponible est trop souvent l'expression d'un petit nombre : notables et lettrés, gens d'Eglise, détenteurs d'un pouvoir, fonctionnaires ou soldats. Les paysans et les marins, eux, ne parlent pas. On les décrit. Leurs volontés, actes de ventes ou testaments, nous parviennent à travers le filtre de la loi, dans le jargon des actes officiels. Les enquêtes administratives trahissent le dédain de l'instruit pour l'illettré, du notable pour le paysan. Comment, dans ces conditions, approcher l'histoire de 98% de la population à travers les actes de gérance et de la description qu'en donnent les 2% restants ? La méthode du "soupçon" s'impose, limitée, certes, dans le dépouillement d'un état civil, grandissante dans l'utilisation de relations historiques, mais totale dans la lecture de "Mémoires" ou autres "Justifications", plaidoyers "pro domo" qui ennoblissent généralement les actions de l'auteur ou de son parti, en leur attribuant une finalité qui transcende l'individu : service de la loi, de la communauté, de la nation, idéal social ou religieux, défense de la liberté, toutes notions qui camouflent parfois les pires injustices. Sous ce vernis, l'individu et son parti se perçoivent : goût du pouvoir, appât du gain, intolérance, jalousie ... en définitive, des comportements bien universels sur lesquels ironise Paul Veyne : « ... un groupe qui défend ses intérêts les plus matériels déploie souvent pour le faire la rhétorique la plus idéaliste ... »
La tradition orale n'échappe pas à ce travers. Les habitants de Six-Fours, comme partout ailleurs, se sont forgés un imaginaire où les anciens apparaissent trop souvent solidaires, généreux, courageux, héroïques ; où les malheurs viennent toujours des "autres" ! Heureusement pour l'équilibre de l'histoire, ce n'est pas toujours le cas. Ne tombons pas cependant dans l'excès inverse en devenant ce possible historien décrit par Marcel Pagnol: « ... au fond des actes les plus généreux, il aimait découvrir d'infects mobiles d'intérêt personnel.». Les ambivalences infinies de l'histoire permettent d'adopter ces attitudes et, pour paraphraser Montherlant, « de suivre une certaine veine en trouvant une succession constante de choses biens, ou de suivre une autre veine en trouvant une succession constante d'horreurs... ». Horreurs...le bien...le mal... notions toutes relatives et fort fluctuantes suivant les convictions des acteurs, de l'historien et du lecteur. Sans méconnaître le vieux problème de la subjectivité du chercheur, un seul souci, cependant, nous guide : faire progresser par la recherche la connaissance de l'histoire et de l'occupation de l'espace dans le Six-Fournais. Tenter d'apporter quelques réponses, telle est notre seule ambition, mais si nous nous attendions à rencontrer tous les problèmes généraux que nous venons d'évoquer, nous ne pensions pas qu'ils puissent revêtir à Six-Fours, une importance si particulière ; C'est pourtant le cas, et la "singularité" des sources historiques six-fournaises nous amène à nous interroger sur la problématique même de la recherche et sur les devoirs déontologiques d'un historien.
DES SOURCES HISTORIQUES BIEN SINGULIERES…
. Nous nous sommes vite aperçus que, consciemment ou non, beaucoup de chercheurs qui nous ont précédés ont travaillé dans une problématique plus courante qu'on ne le croit quand il s'agit d'histoire locale, une problématique qui nous semble bien résumée par ces deux citations de Valéry Larbaud :
"Et si le mythe, c'était la réalité ?
" J'ai des souvenirs de villes comme on a des souvenirs d'amour".
Citons aussi Anatole France :" l'Histoire n'est pas une science, mais un art. On n'y réussit que par l'imagination".
Mais le danger quand on est amoureux d'un mythe, lorsque l'on se sent l'héritier d'une tradition, le défenseur d'un mémoire collective, le danger, c'est l'affectif : on surestime, on retient ce qui conforte le mythe et l'on gomme, on ignore - voire à l'extrême on falsifie - ce qui le contredit.
Pourtant cette approche – qui n'est pas la nôtre – n'est pas, paradoxalement, si négative : ses résultats marquent simplement une étape de la recherche et ils en induisent d'autres, ne serait-ce que pour leur réfutation. On peut, en effet comparer l'Histoire à un escalier inachevé dont les marches de la connaissance s'élèvent sans cesse. La nouvelle marche s'appuie sur les hypothèses et les résultats des marches précédentes qu'elle va enrichir, entériner, nuancer ou rejeter. Le processus naturel de la recherche historique implique une part inévitable d'études critiques des sources précédentes, et il ne faut pas y voir une atteinte presque sacrilège à la mémoire collective et au patrimoine local.
Il est vrai que depuis cent cinquante ans, l'Histoire "officielle" de Six-Fours est truffée de relations et de datations bien fantaisistes. Pour schématiser, trois "constantes" ont principalement retenu notre attention :
- La chapelle de la Pépiole daterait du VIe siècle et serait donc le plus antique monument mérovingien (de surcroit préroman !) de France.
- La collégiale Saint-Pierre serait édifiée sur les ruines d'une église primitive du IVe ou du VIe siècle dont on verrait encore, à l'intérieur de l'église romane, des inscriptions probantes, un autel, un baptistère et les restes de son abside.
- Le 1er aout 950 (quelle précision !), à Malogineste, les Six-Fournais ont repoussé une invasion barbaresque, et la capture de bon nombre de ces pirates aurait permis un important essor économique de Six-Fours.
Des études anciennes (boudées) et récentes (tout aussi boudées) démontrent aisément la caducité de cette histoire "officielle". Pourtant, il est trop facile de la balayer d'un revers imbu de la main : quelle qu'ait été la réalité des faits auxquels elle s'accroche, elle mérite d'être abordée pour ce qu'elle est également : un fervent souci du patrimoine local et une conception impérieuse de l'héritage commun.
Mais on doit s'interroger sur cet amour excessif du patrimoine qui se traduit par le refus aveugle de tout ce qui est supposé remettre en cause son ancienneté, car cette attitude fait aussi partie de l'Histoire de Six-fours : ce que l'on croit être la vérité est aussi important dans l'action que la vérité elle même.
Tout cela mériterait études et débat.
A.PERETTI - 2011
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